homélie


      Régulièrement, nous vous proposons de méditer en notre compagnie, par l'intermédiaire d'une homélie ou d'un texte du Père Alban Doudelet.

 

'Le  troisième  jour,  conformément  aux  Écritures'

 

   Pour évoquer la résurrection de Jésus, le symbole de Nicée énonce "il ressuscita le troisième jour, conformément aux écritures " ; On estime que l'allusion aux Écritures porte sur ce troisième jour : plusieurs fois dans l'Ancien Testament, c'est le jour où l'on attend une action divine, après une attente ou une préparation de deux jours. La prophétie la plus simple en ce sens se trouve chez le prophète Osée : " Après deux jours, Dieu nous fera revivre, le troisième jour il nous relèvera et nous vivrons devant lui " (VI 2).On peut aussi penser à la manifestation de Dieu sur le mont Sinaï, elle aussi un troisième jour, après deux jours de préparation ((Ex., XIX 11). Dans l'histoire de Jonas, il y a même deux mentions d'un troisième jour : le prophète est ramené sur la terre ferme le troisième jour après avoir été englouti par le grand poisson (Jon., II 1), et c'est probablement le troisième jour de sa prédication que Jonas est invité à comprendre la miséricorde de Dieu (IV 7). Jésus lui-même a évoqué Jonas comme prophétie de sa passion (Mt., XII 40) et annoncé sa résurrection un troisième jour (Mt., XVI 21, XVII 23 et XX 19, ainsi que les parallèles en Marc et Luc : tous, sauf un, comprennent la mention de trois jours ou d'un troisième jour).

   Ceci nous permet de comprendre pourquoi, depuis le IVème siècle au moins, les offices principaux de l'année - ceux qui célèbrent la mort et la résurrection du Seigneur - sont disposés sur les trois jours, qui forment le Triduum pascal. Conformément à l'usage biblique, ces jours commencent le soir : c'est ainsi que le début de la Genèse décrit les jours dans le premier récit de la création : " il y eut un soir, il y eut un matin " ; par conséquent, ce n'est que le soir du Jeudi-Saint qui constitue le début du triduum.

 

   Le premier jour commence donc au soir du grand Jeudi et comprend toute la Passion, de la Cène à la mort de Jésus sur la croix. Le deuxième jour commence au soir du grand Vendredi et comprend l'ensevelissement et le séjour au tombeau. Le troisième, qui commence le soir du grand Samedi, est celui de la Résurrection : celle-ci, qui a lieu en secret pendant la nuit, devient manifeste le matin du dimanche avec la découverte du tombeau vide et ouvert, et se poursuit avec les différentes manifestations du Seigneur ressuscité, d'abord aux saintes femmes (appelées myrophores, puisqu'elles apportent des parfums et aromates pour achever les funérailles) et ensuite aux disciples.

   Certains spirituels ont rapproché les trois jours des vertus théologales, le premier étant celui de la charité, le second de l'espérance et le troisième de la foi; d'autres ont préféré attribuer chaque jour à une personne divine - le premier au Fils, le second au Père et le troisième à l'Esprit. Cette façon de faire peut aider la méditation, mais on remarquera qu'elles supposent une unité supérieure - celle des vertus théologales ou des personnes divines. Et c'est l'unité de la Pâque du Seigneur qui est soulignée par toutes les liturgies : avant la création du triduum sur le modèle de la liturgie de Jérusalem, une seule célébration, sous forme d'une veillée nocturne, célébrait le Christ souffrant, enseveli et ressuscité. La division en trois jours liturgiques distincts doit être considérée d'abord comme pédagogique : contempler plus longuement les divers moments, sans les séparer.

 

   Le rite de Constantinople a conservé pour les Vêpres des trois jours une structure identique : celle de la prière du soir de Carême, augmentée d'une Liturgie de la Parole comme pour une Liturgie eucharistique. Comme actuellement dans notre chapelle, nous ne célébrons que les Vêpres du Triduum, nous pouvons être sensibles à cette volonté d'inscrire la prière dans le cadre naturel : le soir est l'occasion d'évoquer la création (avec le psaume 103) et d'intercéder pour le jour à venir (avec les litanies), en faisant mémoire et intercession ; les lectures embrassent à la fois l'histoire de la Passion (dans saint Matthieu principalement), les prophéties de l'Ancien Testament et les commentaires de saint Paul.

   Le premier soir, l'évangile contient les évènements du premier soir et de la première nuit, soit de la Cène au reniement de Pierre (Mt., XXVI 2-XXVII 2). On peut y distinguer la Passion annoncée (dans le repas et le lavement des pieds selon Jn., XIII 3-17) et la Passion subie (l'arrestation, le procès juif, le reniement de Pierre), reliées par le moment de l'agonie, quand est manifeste la volonté, chez le Seigneur, de faire coïncider sa volonté humaine avec celle du Père. Car il s'agit pour Lui d'être fidèle à la mission - aimer jusqu'au bout - et de résister aux tentations (pas seulement celle de la fuite, qui n'est même pas évoquée, mais celle du coup de force miraculeux, comme les légions d'anges de Mt., XXVI 53) ; de cela découle, chez Jésus, le refus de la violence (XXVI 52), tout autant que l'affirmation de son identité de Fils de l'homme (XXVI 64).

   Le deuxième soir, l'évangile reprend la suite des évènements à l'aube du premier jour et poursuit jusqu'à la mise au tombeau (Mt., XXVII 1-62). La solitude du Seigneur est de plus en plus marquée, et aussi son silence ; le sobre récit de saint Matthieu ne reprend qu'une des paroles de Jésus en croix (on se rappellera qu'il faut joindre les données des quatre évangiles pour arriver au nombre sacré de sept) ; c'est la citation, en hébreu et en grec, du psaume 21 "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?  ", qui exprime à la fois l'abandon ressenti et la confiance conservée (il faut lire le psaume en entier, car il contient aussi l'engagement d'annoncer le nom de Dieu aux frères). La liturgie lit aussi l'épisode du bon larron (dans saint Luc, XXIII 39-44) et celui du cœur ouvert (dans saint Jean, XIX 31-37), qui montrent Jésus agissant du haut de la croix comme le Roi qui dispose de son royaume, comme l'agneau pascal, dont aucun os ne peut être brisé (Ex., XII 46 cité par Jn., XIX 36) et comme la source des sacrements. Et déjà, à la croix, se constitue l'Église, avec les saintes femmes témoins et les disciples secrets, Joseph et Nicodème.

   Le troisième soir, aucun fait nouveau ne peut être rapporté, sinon la mise en place des gardes et des scellés ; aussi est-ce l'heure de relire les prophéties. Depuis le récit de la création (Gen., I), que nous relisons puisque le Christ est l'homme nouveau et le début de la nouvelle création, en passant par le sacrifice d'Abraham (Gen., XXII), où Dieu refuse le sacrifice humain et fournit lui-même une victime de substitution, le passage de la mer par Moïse et Israël libéré (Ex., XIV-XV) ou les trois jeunes gens sortis indemnes de la fournaise (Dan.,III 1-88), ou encore l'histoire de Jonas, ce prophète récalcitrant, qui apprend à la fois l'obéissance à sa mission et la miséricorde de Dieu (Jon., I-IV), ou le prophète Sophonie, quand il invite à la fois à attendre le relèvement/résurrection du Seigneur et à danser de joie, car Dieu nous délivre (Soph., III 8-15).

Iconographe : Sabine Wavreil
Iconographe : Sabine Wavreil

   Il faut attendre la troisième aube pour découvrir la résurrection comme l'inattendu, l'inespéré (comme le montre la réaction de fuite des saintes femmes devant le tombeau ouvert et le messager céleste qui les envoie aux apôtres, en Mc., 1-8), mais encore la réponse de Dieu le Père, qui justifie tout ce que Jésus a dit et fait. Et la lecture, lors de la Liturgie, du début de l'évangile de saint Jean (I 1-18) nous montre la fidélité de Dieu à son dessein, de faire des hommes ses enfants (vv. 12-13), la victoire de la lumière sur les ténèbres (v.5) et la gloire du Fils unique (v.14), seul interprète valable de Dieu (v.18).

   La liturgie nous sert de guide pour arriver à notre participation aux évènements ou enseignements qui ont été faits ou dits par le Seigneur en faveur des hommes : nous sommes invités par les célébrations à la compassion, à l'admiration, à la gratitude, car nous comprenons chaque année mieux qui est Jésus, que tout a été fait pour les hommes - pour moi ! - et combien les trois personnes divines se sont unies pour notre salut. Nous (ré)apprenons aussi à nous convertir, à être fidèles et à vivre pour Dieu et les autres.

 

   Oui, le Seigneur est vraiment ressuscité (Lc., XXIV 34) !

 

Abbé Alban Doudelet